Conservatoires: les élèves adultes sacrifiés par la pandémie
FUSE a interrogé Marie-France Moyns, membre du conseil d?administration de FUSE. Marie-France est élève-adulte au conservatoire de Niort et partage avec nous son vécu de ces derniers mois et de façon plus générale, son positionnement en tant qu?adult

Depuis le début de cette crise du Covid-19, la culture est mise à mal. Après le 3ème confinement du printemps 2021, le retour en présentiel s’est fait petit à petit dans les conservatoires jusqu’à autoriser la reprise totale pour les élèves mineurs et les majeurs inscrits dans des cycles avancés. Parmi ces derniers, on trouve un grand nombre de ceux qui se destinent à une carrière professionnelle. Mais alors, que s’est-il passé pour les autres élèves majeurs, et notamment les adultes « amateurs » ?

Nous avions alerté en mars, sur leur souffrance d’être ainsi écartés du conservatoire durant de très longs mois. Nous avons souhaité éclairer plus encore leur place singulière au sein des établissements, leur apport pour la collectivité et en contrepoint, l’amertume ressentie face à cette éviction.

Pour ce faire, FUSE a interrogé Marie-France Moyns, membre du conseil d’administration de FUSE. Marie-France est élève-adulte au conservatoire de Niort et partage avec nous son vécu de ces derniers mois et de façon plus générale, son positionnement en tant qu’adulte inscrite. Nous retranscrivons ici, les éléments recueillis via un entretien.

 

Des élèves adultes dans les conservatoires

Comme dans de nombreux conservatoires, les inscriptions des adultes viennent compléter celle des enfants, qui sont prioritaires. Si les élèves adultes sont quasiment absents des conservatoires des grandes métropoles (sauf en chant, théâtre, jazz, musiques actuelles, qui s’adressent plus souvent à des jeunes majeurs etc.), en raison d’une demande largement supérieure au nombre de places, dans certains établissements ils constituent près d’un tiers des inscriptions.

Il y a 3 types d’adultes inscrits à Niort.

  • certains ont fait des études musicales en cursus à un moment donné et sont aujourd’hui en pratique continue (hors cursus). C’est le cas de Marie-France qui, après avoir appris enfant le piano, est depuis 20 ans inscrite au conservatoire en violon. Aujourd’hui, outre son cours individuel d’instrument, elle y pratique la musique de chambre et la musique d’ensemble.
  • d’autres s’inscrivent en cursus. Ils doivent suivre tous les enseignements du conservatoire : formation musicale, cours individuel et collectif. Considérés comme les autres élèves, les adultes participent aux auditions et aux concerts et passent les examens.
  • les derniers débutent la musique, réalisant ainsi un vœu lointain. Ils ne suivent pas obligatoirement un cursus complet, et outre leur cours individuel, peuvent à la carte suivre un cours de solfège ou/et d‘ensemble. Ils n’ont pas tous un objectif fort de progression mais recherchent aussi un partage social de la musique et une pratique « plaisir ».

Après 25 ans de pratique au conservatoire, Marie France se considère, comme d’autres adultes, comme un pilier de conservatoire. La plupart des professeurs la connaissent. En plus d’effectuer son rôle de simple élève, elle aide au fonctionnement de la classe d’ensemble en véhiculant des élèves pour les répétitions par exempleSelon elle, les professeurs apprécient en général la présence des adultes dans les ensembles car lorsque leur niveau musical le permet, ils aident et encouragent les enfants et leur présence pondère les débordements de certains. Parfois, leur contribution peut aller plus loin, en aidant à la préparation des partitions par exemple ou en aidant les plus jeunes à s’accorder. En effet, certains adultes retraités ont le temps mais surtout l’envie de le faire. Cela leur permet de s’impliquer dans la vie du conservatoire et de se sentir utile.

 

Une implication forte, mais une place fragile

En temps normal, hors Covid, Marie-France est complètement intégrée et considérée comme une élève normale. Il n’y a aucun traitement de faveur de la part des professeurs : les élèves-adultes se font « tirer les bretelles » comme les autres. En revanche ils n’ont que 15 minutes de cours par semaine, moitié moins que les jeunes élèves. Et compte-tenu de leur statut de « bouche-trou », chaque année leur place peut être remise en cause en fonction des demandes d’inscription du public prioritaire constitué des jeunes. De la même façon, les adultes doivent s’adapter et accepter le cas échéant de changer de professeur pour compléter des emplois du temps 

Marie-France se félicite de la qualité des relations qu’il lui arrive de nouer avec les ados. Elle joue aujourd’hui dans l’orchestre du 2e et 3e cycle avec quatre autres adultes et elle y est parfaitement intégrée. Les élèves apprécient d’avoir des adultes qui ne sont ni leurs professeurs ni leurs parents, sur qui ils peuvent s’appuyer musicalement et avec qui ils peuvent échanger de manière très informelle. Cette place leur confère un rôle médiant entre l’équipe pédagogique et les enfants.

 

Un engagement mal reconnu, débouchant sur une inégalité de traitement

Durant les différents épisodes de la pandémie, il est indéniable qu’il y a eu une différence de traitement entre les élèves-adultes et les autres élèves. Avant le 19 mai, date à laquelle le présentiel a repris pour tous, les décrets nationaux ont interdit les cours en présentiel pour les seuls adultes. Cette mesure leur a semblé absurde puisque leur cours individuel ne présentait pas plus de risques que ceux des mineurs. Les élèves majeurs n’avaient le droit aux cours en présentiel que lorsqu’ils suivaient un cursus déjà confirmé, à partir du 3e cycle. Les autres (hors cursus, ou en cursus mais en cycles 1 ou 2) ne pouvaient accéder au conservatoire.

Les élèves-adultes auraient compris que la reprise soit limitée aux seuls cours individuels.  Cette disparité de traitement a alimenté chez certains un sentiment d’abandon.

 

Entre colère et résignation

Ceux faisant surtout de la musique pour le partage ont vécu difficilement ces derniers mois. Une déprime a pu s’installer chez les plus isolés, amplifiée par le fait d’avoir perdu leurs repères, les liens créés au conservatoire, ou de ne plus pratiquer leur instrument. Leur sentiment d’abandon a été amplifié par le sentiment que l’administration restait indifférente à leur situation.

Pour les adultes débutants, cela a été très compliqué. Alors que s’inscrire au conservatoire implique pour eux des sacrifices importants, tant au niveau de l’emploi du temps qu’au niveau financier, la situation a provoqué leur colère. Certains ont ainsi souhaité abandonner ou se désinscrire, d’autant plus que l’arrêt de la pratique musicale les a poussés vers d’autres activités.

En revanche, les professeurs ont été très présents, y compris ceux des orchestres qui ont transmis les partitions afin que les adultes puissent se réinsérer dans le groupe. Malgré tout, peu ont pu raccrocher les wagons à la reprise.

Alors que l’hypothèse d’une 4ème vague se fait jour, la leçon de ces derniers mois au regard de la place des adultes ne paraît pas tirée. Dans le cas d’un nouveau confinement, comment faire pour préserver l’enseignement de la musique auprès des adultes amateurs sans mettre en danger (d’un point de vue sanitaire ou réglementaire) les professeurs qui trouvent des solutions de continuité ?

Pour Marie-France, il faudrait par exemple étudier la possibilité pour les professeurs de donner des cours dans des tiers lieux comme cela se fait dans les bibliothèques (avec des rendez-vous, des jauges), se libérer ainsi des obligations pesant sur le conservatoire. Et laisser une marge de manœuvre aux instances locales pour créer des solutions adaptées aux réalités de terrain dans le respect des règles sanitaires.

 

Renforcer et valoriser la présence des élèves adultes au sein des conservatoires

Au plan national, il y a une attente forte pour ouvrir la pratique artistique à tous les âges et de ne pas limiter l’accès de ce service public d’enseignement aux seuls enfants. Certes il existe une offre associative riche, mais elle est souvent plus onéreuse et pas toujours bien identifiée. Par ailleurs, elle n’offre pas la même possibilité d’accompagnement pédagogique, ni de pratique d’ensemble exigeante et intergénérationnelle.

Cette crise est porteuse d’enseignements sur la place singulière qu’occupent les adultes au sein des conservatoires. Pour Marie-France, elle leur a ainsi offert l’occasion de se repositionner comme acteur de l’enseignement artistique, et non plus comme simples consommateurs d’enseignement musical, dans la droite ligne des droits culturels.

Parallèlement, elle espère que les adultes ne seront plus les variables d’ajustement, des « bouche-trous » face à une désaffection des plus jeunes, et que leur contribution à la vie du conservatoire sera désormais valorisée. La situation actuelle n’est en effet pas viable, tant pour les adultes que pour la continuité du projet pédagogique.

La crise a également permis aux adultes de prendre conscience de la réalité de leur rôle dans la pratique artistique et dans l’animation du conservatoire. Désormais, les élèves adultes veillent plus à ce que chacun d’entre eux soit présent et actif dans le projet pédagogique du conservatoire. Cela a aussi permis de tisser plus de liens entre les élèves-adultes, de constituer un véritable collectif, qu’il appartient désormais à tous de préserver et de faire vivre.

 

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Mis à jour le 16/07/2021