Les étudiants, oubliés du secteur culturel ?
Confinés dans un sas, ils ne sont pas encore intermittents du spectacle, ni salariés d'une structure d'enseignement. Ils subissent l'arrêt de l'activité sans protection ni assurance. Avec l'angoisse d'un avenir précaire et d'une insertion fragilisée.

Antonin Le Faure, étudiant en master 2 d’alto et en pédagogie (CA) au CNSM de Paris, membre du conseil d’administration de FUSE (dans le collège étudiants), témoigne et alerte auprès de FUSE. Pour compléter, FUSE lance une vaste enquête auprès des étudiants : cliquez ici pour répondre.

ALF : Tout d’abord, pas d’ambiguïté – relativisons – car il serait indécent ici de se plaindre alors qu’il existe des situations de détresse profonde qui touchent les plus vulnérables et qui réclament une solidarité absolue pour faire ensemble face à cette crise sanitaire et sociale inédite. 

FUSE : qu’est-ce qui a changé depuis le 17 mars ?

ALF : Pour nous, la situation avait déjà été fragilisée avant, car les grèves – aussi justifiées fussent-elles – avaient entraîné beaucoup d’annulations de concerts. Pour résumer, notre équilibre vital tenait parce que nous cumulions des cachets, des heures de remplacements en conservatoire, voire des petits cours, cumulés à des bourses CROUS ou à celles de fondations, bref un soutien de notre insertion et de notre autonomie à courte échéance.

Pour beaucoup nous ne sommes pas encore intermittents du spectacle, soit par choix – privilégier l’enseignement par exemple – soit pour la majorité, un manque encore de cachets mais globalement le conservatoire prend la place la plus importante – bien normale – de nos activités. Il ne faut pas oublier qu’un concert, ce sont aussi des heures de travail personnel en amont. Et puis si la rémunération est primordiale, nous donnons aussi beaucoup de concerts personnels, caritatifs ou en accompagnant nos camarades et ce, gratuitement. Parce que le réseau fonctionne ainsi. De même les émissions de radio, qui là aussi permettent de faire avancer son projet.

Rappel : 1 cachet = 12 heures, et il faut 507 heures pour obtenir le statut. Des dispositifs permettent cependant un assouplissement de ces contraintes notamment dans le contexte du Covid-19, cf. onglet 8.

FUSE : quelle a été la prise en charge de vos difficultés par l’institution ?

ALF : Je tiens à remercier non seulement mes enseignants vigilants et bienveillants mais aussi la direction du CNSM, plus particulièrement Serge Cyferstein, responsable de la pédagogie, qui très vite s’est inquiété des conditions de vie de ses étudiants, les relançant individuellement. Pour beaucoup, cette démarche restait « théorique », car une fois retournés dans nos familles, notre nouvelle vie au jour le jour masquait toute projection possible dans l’avenir.

Pour ceux, isolés et fragilisés, des bourses d’urgence semblent avoir été débloquées.Tant mieux. Pour l’immense majorité, c’est évidemment la solidarité familiale qui a pris le relais, mais cela ne peut être que temporaire.

Aujourd’hui je dirais qu’il faut se poser d’autres questions et que notre situation réelle soit prise en compte cas par cas.

FUSE : qu’attendez-vous ?

ALF : La question est bien là. Je pense que l’on ne devra pas penser ce confinement comme une simple parenthèse et imaginer que tout reprendra sa place comme avant, mine de rien comme reprendre la bicyclette !! Je pense au contraire que c’est un accident de parcours et qu’une dynamique a été rompue et qu’il faudra penser ce moment comme tel avec une période post-traumatique, convalescente et de rééducation. Je caricature à peine. Peut-être pas tous – et encore ? –  sur le plan psychologique : chacun ayant compensé par une surenchère de projets rigolos et collaboratifs flattants son ego trop confiné et en mal de reconnaissance. Je me reconnais là (rire).

Non, c’est surtout sur le plan social et au niveau du métier qu’il va falloir se reconstruire. Et déjà être vigilant. Des signes inquiétants pointent leur nez. Par exemple les acteurs du mécénat prévoient de reporter leurs actions (relance économique et recherche médicale obligent) au détriment de la culture et du spectacle vivant comme le souligne déjà Sylvaine Parriaux, la déléguée générale d’Admical, association pour le développement du mécénat, dans La Lettre du Musicien. Et on sait à quel point ils sont indispensables, nos mécènes, pour financer des projets de productions, de diffusion souvent injouables sans eux. Pour nous étudiants, ils sont carrément vitaux en décernant des bourses sur critères sociaux et/ou au mérite sur concours. Ces aides permettent ce à quoi l’on ne pourrait accéder autrement : des instruments de qualité, concourir ou étudier à l’étranger et simplement déjà accompagner financièrement notre quotidien. Aujourd’hui tout est gelé, aucune nouvelle des demandes en cours qui devaient tomber là !

Autre signe troublant, la Spedidam (Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes dont les étudiants des CNSM sont admis à adhérer de droit) a annoncé fin mars que ses commissions d’agrément et toutes demandes seraient suspendues pour la durée du confinement. Une décision mal prise par beaucoup d’acteurs du secteur ne la jugeant pas acceptable moralement ni économiquement [à ce sujet, voir le communiqué commun du 30 mars, de l'AJC Jazz, Fevis, Futurs Composés, France Festivals, Rema et le Profedim]. Tout simplement parce qu’elle menace la relance du spectacle vivant.

Troisième fait: Déjà il y a deux semaines, The Oxford University-Music Faculty avait décrété que ses cours ne reprendraient qu’en… octobre ! Le Président emboîte le pas et annonce que nous ne remettrons pas les pieds normalement dans les écoles supérieures et universités avant septembre…

Je pressens tous les drames que cette année « blanche » va déclencher. Des admissions ou des examens de fin de cycles aléatoires – préparés comment ? – selon des calendriers improvisés dans la précipitation voire incompatibles. Déjà beaucoup postulent sur vidéos comme à Lausanne, est-ce bien équitable? Et globalement quels sont les critères qui seront retenus? Est-ce que la bienveillance garantit l’équité ? Et voulons nous sacrifier l’aboutissement de nos années d’études à savoir notre Prix (master) de CNSM par exemple ?

Beaucoup de questions sont en suspens, Il faut d’urgence envisager un plan Orsec concernant notre retour à la vie étudiante. Que l’Etat soutienne les projets programmés et que les spectacles annulés pendant cette période soient intégralement rémunérés. Pour l’intermittence, le report de 6 mois de ses droits comme le revendique le SNAM-CGT, dans son appel au président de la République. Et que les fondations s’engagent en déclenchant des fonds spéciaux pour permettre rapidement le soutien de projets personnels qui facilitent l’insertion. Et dans le même esprit que les établissements d’enseignement supérieur mettent des efforts supplémentaires sur l’accompagnement à la professionnalisation à travers des partenariats urgents afin que le tuilage se fasse plus rapidement… afin de ne pas ajouter de la précarité à la précarité de notre situation.

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Mis à jour le 15/04/2020